Les enjeux socio-économiques d’une bonne métacognition

Les enjeux socio-économiques d’une bonne métacognition

Les enjeux socio-économiques d’une bonne métacognition

Lettre de l’InSHS n°78 – juillet 2022 – Les comportements au cœur des sciences sociales : un renouveau de l’analyse par de nouvelles formes d’approches expérimentales ?

Cet éditorial de fin d’année académique est l’occasion de reprendre le travail de présentation et de réflexion sur certains traits saillants, propres ou partagés, de la communauté des sciences humaines et sociales. Ce travail a été initié à l’occasion de l’éditorial de la Lettre de l’InSHS publiée en janvier 2022. Celui-ci s’était concentré sur le nombre et la nature des structures de recherche co-pilotées par l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS.

 

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Les enjeux socio-économiques d’une bonne métacognition

Quentin Cavalan, Vincent de Gardelle et Jean-Christophe Vergnaud sont chercheurs au sein du Centre d’économie de la Sorbonne (CES, UMR8174, CNRS / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Tous trois s’intéressent à la perception, à la prise de décision et à la métacognition. Ils coordonnent un programme sur les sciences du comportement.

“Quand nous analysons et contrôlons nos processus mentaux, nous pratiquons la métacognition, ou cognition sur la cognition. Une mesure élémentaire et essentielle dans cet exercice introspectif est le niveau de confiance avec lequel nous estimons avoir réussi une tâche, ou être capable de la réussir dans le futur. En plus de permettre de quantifier notre degré de certitude, la confiance est aussi un instrument pour la régulation du comportement. Par exemple, la confiance permet de moduler l’effort consacré à la tâche, soit en y consacrant plus de temps ou d’attention, soit en l’abandonnant pour passer à d’autres activités. Si la métacognition est un sujet de recherche particulièrement important en psychologie de l’éducation ou en psychologie cognitive, cette notion peut également nous amener sur le terrain de l’économie ou de la finance.

La surconfiance est un biais métacognitif bien connu, notamment dans le champ de l’économie comportementale qui s’est intéressée aux conséquences de ce phénomène. Largement partagée au sein de la population, la surconfiance revêt de multiples formes. Quand nous nous comparons aux autres, par exemple, nous sommes plus de 50 % à nous juger parmi les 50 % les meilleurs, que ce soit pour notre capacité à conduire correctement, à enseigner ou à réaliser une performance sportive. Nos jugements absolus sur nos performances sont également souvent soumis à ce biais de surconfiance : notre estimation subjective de nos performances est supérieure à leurs valeurs objectives. Ceci est particulièrement le cas lorsque nous réalisons des tâches difficiles ou des tâches dans lesquelles nous sommes peu expérimentés (effet Dunning-Kruger). Une théorie populaire rationalise ces excès d’optimisme par le fait qu’une bonne image de soi génère satisfaction et motivation. On constate d’ailleurs une surconfiance moindre chez les personnes souffrant de dépression. Attention cependant : la corrélation ne vaut pas causalité et cette hypothèse d’une surconfiance motivée par la satisfaction de se voir sous un jour favorable est controversée au niveau empirique. Si tel était le cas, nous ne devrions pas traiter de la même manière les bonnes et les mauvaises nouvelles sur nos performances, les bonnes nouvelles faisant plus progresser la confiance que les mauvaises nouvelles ne la réduisent. Or, les expériences en laboratoire montrent plutôt l’absence d’asymétrie pour les nouvelles portant sur la performance absolue (et les résultats sont mixtes lorsqu’il s’agit d’informations données sur la performance relative). Ces résultats empiriques vont ainsi dans le sens d’une autre voie théorique suggérant que la surconfiance confère un avantage social. Par exemple, la confiance en soi pourrait rendre plus convaincant dans nos interactions avec les autres, plus dissuasif en situation de conflit ou de marchandage, etc. Dans cette logique, Schwardmann et Van der Weele1  observent que lorsque des participants peuvent gagner de l’argent s’ils convainquent les autres de leur performance supérieure, ils montrent alors un excès de confiance (en comparaison avec un groupe contrôle). On sait par ailleurs qu’une confiance plus élevée rend effectivement les individus plus persuasifs.

À l’inverse de ces théories mettant en avant les effets positifs de la surconfiance, la liste des conséquences négatives liées à la surestimation de ses capacités ou de ses connaissances est longue. Les entrepreneurs surestiment leurs chances de réussite lorsqu’ils entrent sur un marché, ce qui entraîne une entrée excessive et des faillites en cascade2 . La surconfiance favorise également les comportements agressifs dans des environnements conflictuels3 . Lors de marchandage où deux parties doivent se mettre d’accord pour se répartir une production jointe, la surestimation par les parties de leur propre contribution par rapport à celles des autres conduit à des conflits coûteux4 . ” [ lire la suite ]